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Approche thérapeutique de la violence dans le couple

Divers modèles d’intervention sont utilisés en Europe, ils s’inspirent généralement du modèle Duluth[1]développé aux USA. Le programme Duluth est un programme pionnier internationalement reconnu dans la protection des victimes et la réhabilitation des auteurs.

Les modèles d’intervention

L’accent fut mis sur le rôle de la société et des auteurs, c’est à l’auteur qu’incombe la responsabilité de l’arrêt de la violence. La commission a aussi recommandé d’améliorer la protection des victimes femmes et enfants. L’implication et la coordination des divers intervenants (La loi, la police, la justice, la protection des victimes et les traitements des auteurs) étaient considérées comme indispensable et devaient être améliorées. C’est la « CCR » (voir ci contre). Le développement des compétences et des connaissances des praticiens intervenant auprès des enfants des femmes et des auteurs, fut un des objectifs à atteindre. De ces recommandations est né le programme Duluth.

modeles violence

Les premiers travaux sur l’effet de l’arrestation, des mesures d’éloignements ou de la conciliation montrent que l’arrestation réduit la répétition des violences et est la mesure la plus efficace dans la protection des victimes. Mais Sherman et ses collègues ont cependant montré que cette mesure avait des effets très variable selon la communauté, l’insertion sociale, le statut économique, le type d’individu et ces rapports avec le système judiciaire. L’arrestation avait un effet dissuasif sur les actifs et les primo-délinquants alors qu’elle augmentait la violence chez les chômeurs et les personnes déjà condamnés. De même le fait d’être marié rendait la mesure d’arrestation plus efficace. Ces mêmes recherches ont montré que si l’arrestation faisait diminuer les risques de violence dans les six premiers mois après l’intervention policière, elle tendait à faire a ugmentait le risque à long terme[2]

Le travail sur les auteurs fait souvent référence à des concepts d’inspiration cognitivo comportementale. L’approche comportementale et cognitive propose de changer les comportements, les attitudes, les pensées afin de ne plus recourir à la violence. Par hypothèse la violence n’est pas considérée comme le signe d’une maladie mais comme un comportement acquis qui peut être modifié. A partir de cela est mené un travail qui permet à l’auteur de violences domestiques et conjugales d’accepter l’existence de ses comportements violents et la responsabilité de ses actes. Le dévoilement est un moment important du travail groupal, inclut notamment dans les rituels d’accueil de chaque nouveau participant. Le dévoilement permet à l’auteur de s’approprier progressive de la responsabilité de la violence. A l’arrivée d’un nouveau participant chacun des pairs raconte l’événement violent qui l’a amené à consulter, puis le nouvel arrivant fait de même. Ce type de ritualisation du dévoilement réduit le déni et la minimisation des violences, recentre et souligne le focus de la thérapie tout en facilitant l’intégration au groupe du nouvel arrivant. L’identification des émotions des sentiments et des besoins, permet la mise en lumière les distorsions cognitives. Cette identification va permettre à l’auteur de découvrir et de développer de meilleures compétences sociales et relationnelles. Se sentant capable de changer et d’améliorer ses modes de communication, et ses capacités relationnelles, l’individu rentrera dans une boucle vertueuse par les rétroactions positives qu’il constatera dans sa vie quotidienne.

 Si l’auteur à lui-même fait l’objet de violences durant son enfance ou à l’adolescence, il peut plus facilement comprendre ce que vit sa compagne, une fois le déni de sa position de victime dépassé. L’auteur de violences domestiques et conjugales peut comprendre et accepter la variété des réactions émotionnelles des autres, comme des vérités aussi prégnantes que ses propres expériences émotionnelles. Cette mise en perspective de la vérité émotionnelle de l’autre permettant la construction d’une relation égalitaire et respectueuse. Ce travail sur l’impact de la violence sur les proches et la relation est repris quand un participant signale une récidive.

Le programme utilisé au Cheval Bleu est issu de ce courant, en lien avec Option au Québec et Praxis en Wallonie.

Prise en charge de couple ou traitement individuel.

Deux modèles principaux de prise en charge dominent la littérature : Le Gender-Specific Treatment(GST)  qui est le modèle dominantet qui implique un traitement séparé en groupe, pour les auteurs et les victimes, et le Physically Aggressive Couples Treatment (PACT), traitement des couples violents, donc approche systémique du couple. Dans une étude comparative, O’Leary [3]ont montréque les deux approches menaient dans certains cas à une réduction significative de la violence dans le couple pendant le traitement et après un an de follow-up. Néanmoins 75% des hommes ont utilisé la violence dans l’année qui a suivi le traitement, dont un tiers a commis des agressions sévères. 47% des sujets ont abandonné le traitement avant sa fin. 

Ces résultats sont cohérentsavec nos propres observations dans les groupes thérapeutiques pour auteurs de violence. En 2015 par exemple 56% des hommes étaient intégrés en groupe. Parmi ceux-ci 40% menaient le traitement à terme, 50% avaient une compliance >75%. En 2016 près de 62% étaient intégrés, 35% ont mené le traitement à terme. Cependant le taux de récidive après participation aux groupes, à un an était de 9,8%, chiffre étant à pondérer en considérant les particularités de la population d’hommes judiciarisés, acceptant un traitement en groupe et compliants à ce traitement, non représentative de l’ensemble des auteurs de violence familiale. 

Dans son rapport « Auteurs de violences au sein du couple Prise en charge et prévention » (2006) Roland Coutenceau[4]écrit : «  Se pose également la question de l’entretien de couple parfois demandé par l’agresseur et la victime. Dans la plupart des cas, il convient de différer cette rencontre et d’attendre que la victime ait retrouvé son statut de sujet et que l’auteur de violences ait progressé suffisamment dans la conscience de ses actes, afin de permettre un véritable travail d’échange dans l’espace du couple

Il peut donc y avoir des indications d’entretiens de couple, après un temps de suivi spécifique du sujet violent, mais aussi des contre-indications sérieuses. En pratique, l’indication d’entretien de couple est possible pour des sujets autocritiques, reconnaissant totalement les faits, sensibles aux conséquences pour leur compagne et également sensibles au regard des enfants. La demande libre de la victime doit être alors recueillie. » 

Il écrit aussi « l’outil essentiel pour la prise en charge des sujets violents est la technique de groupe, tant les indications de la prise en charge individuelle sont dans un premier temps relativement limitées si l’objectif est de proposer une aide, un suivi, un travail de prévention de la répétition à un grand nombre de sujets violents. Dans la technique de groupe, il s’agit de favoriser l’écoute mutuelle, de sortir de sa problématique égotiste, d’écouter la différence. Ces sujet décrits souvent comme minimisant, banalisant les faits de violences, sont en quelque sorte « condamnes » à écouter d’autres un peu plus avances sur le chemin de la réflexion, de la compréhension, de la capacité́ à exprimer leurs propres émotions. Il y a là un effet fort de la dynamique de groupe. Parallèlement l’écoute d’autres protagonistes dédramatise un peu la question, en ouvrant des perspectives pour le sujet violent. » 

Approche systémique de la violence dans le couple

La thérapie de couple dans les familles à transaction violente est sujette à controverses. Les objections ont généralement pris deux formes : une pragmatique etun philosophique. Sur le plan pragmatique, il a été posé comme hypothèsequeles séances de traitement conjointes augmentent la probabilitéde violence.[5] Le mécanisme proposé est qu'on demande aux femmes d’évoquer avec sincérité leur plaintes et griefs dans une session conjointe, avecparfois un faux sentiment de sécurité découlantdu fait que l'homme a accepté le traitement.Elles risqueraient donc d’être face à des représailles une fois rentrées à la maison.

L'objectionphilosophiqueau traitement conjoint repose sur une critique du paradigme systémique qui sous-tend la plupart des relations de thérapie. Les critiques proposent que, comme SelonBograd (1992)[6], « Les formulations de systèmes impliquent toujours la femme battue oudiffusent la responsabilitéde la violence masculine »  

En outre, au lieu de considérer la responsabilité de l’homme dans ses actes, celle-ci peut se diluer dans les discussions sur les modèles d'interaction de couple, les compétences en résolution de conflits, la famille d'origine et autres questions qui sont à la base de la thérapie de couple. En d’autres termes, le thérapeute serait contraint de gérer deux paradigmes contradictoires, l’un linéaire posant la relation de causalité directe entre l’agression de l’auteur et la souffrance de la victime, et l’autre circulaire définissant un système violent dans lequel chacun des partenaires est partie prenante.

Dans une revue de la littérature concernant les différentes pratiques en 2008, McCollum[7]faisait 4 recommandations :

  • Une réponse communautaire coordonnée. Les traitements évalués ne doivent pas être utilisés seuls. Ils doivent se baser sur une collaboration avec les autres programmes de lutte contre la violence familiale et impliquent de disposer d’une gamme complète d'options, parmi lesquelles la sanction pénale, les services d’aides aux victimes, les programmes de prévention, les groupes de soutien, les programmes thérapeutiques pour les auteurs, les programmes pour les enfants témoins, par exemple.
  • Un choix attentif des indications pour l’approche conjointe
  • Modification de la pratique pour augmenter la sécurité des personnes
  • Évaluation continue de la sécurité avec des plans d’urgence disponibles face à une possible récurrence de la violence

Le Cheval Bleu et les violences familiales

Le Cheval Bleu mène depuis 2008 un programme de groupes thérapeutiques destinés aux auteurs de violence familiale, dans la filiation du programme Duluth. 

Le cadre général, qui suppose un travail thérapeutique ciblé, sur un temps limité s’apparente à celui des thérapies brèves. L’équipe Québécoise d’Option a défini au fil de plus de 25 ans d’expérience une méthodologie générale (Guèvremont 1995)[1]dont l’un des intérêts est de poser des points de repères pratiques, définissant des rituels qui jalonnent la vie du groupe et les axes de travail à l’intérieur desquels peut se déployer la créativité thérapeutique de l’équipe. 

L’équipe des thérapeutes est pluridisciplinaire. Elle est composée de plusieurs psychologues dont la plupart sont également de formation systémique ou analytique, d’infirmières également formées à la thérapie familiale et d’un médecin psychiatre. Des sensibilités diverses sont dans cette équipe en dialogue permanent, que ce soit dans le travail très particulier de coanimation que dans les réunions d’intervision hebdomadaires. 

L’articulation du thérapeutique avec la Justice est un projet commun. Il s’agit, au sein du groupe de responsabilisation, de s’appuyer sur d’une injonction de soin pour créer les conditions qui permettront qu’émerge une demande chez le sujet, qui devient alors patient. 

Le cadre de la justice vient baliser le cadre des groupes où l’intervention judiciaire devient un support pour l’intervention thérapeutique. Dans la mise en place de notre action, ce cadre judiciaire définit des lieux (milieu carcéral ou milieu ouvert) et des temps judiciaires (Instruction et jugement, incarcération, libération et suivi en milieu ouvert) à partir desquels peut de structurer et de déployer l’action de soin. 

« On comprend comment la loivient se proposer comme un métacadre perceptif. L’aspect contraignant ne doit pas masquer ce qu’il recèle de sécurité pour ces sujets. Loin d’être une persécution, ce métacadre vient en permanence faire une enveloppe contenante. La question qu’il nous faut maintenant penser est : comment cette fonction de contenante deviendra une fonction conteneur, faisant faire à ces sujets une expérience fondatrice leur permettant de mettre en représentation les charges affectives qui y circulent » (Ciavaldini A., 2008)[2]

Ces groupes se caractérisent le plus souvent par l’ambiguïté de la demande contrainte. 

Selon Jacques Broué et Clément Guèvremont (Broué et Gévremont 2002), « La demande d'aide est paradoxale, puisqu'il s'agit d'une aide contrainte. En effet, c'est un tiers qui enjoint l'individu à participer à une psychothérapie de groupe pour conjoints violents et lui rappelle que son cheminement sera pris en considération. Il est ainsi demandé à l'individu de changer ses comportements, attitudes et croyances à l'égard de la violence conjugale et familiale. Par conséquent, les « référents » font une demande au conjoint violent qui pourrait curieusement se formuler: Nous voulons que vous vouliez changer. Les « référents » font aussi une demande du même type aux psychothérapeutes : nous voulons que le conjoint violent change et que vous vouliez l'aider à résoudre le problème que nous affirmons qu'il a. »[3]

L'enjeu de la demande consiste donc, préalablement, à favoriser une réappropriation de la demande d'aide et de changement par l’auteur de violences. 

Les forces et les faiblesses de ce modèle apparaissent actuellement clairement. En effet, si cette méthodologie de groupe est puissante, et que l’articulation forte à l’action judiciaire définit un cadre robuste et sûr, il n’ouvre pas la porte à une interrogation sur la dynamique familiale, ni aux besoins spécifiques de la victime et des éventuels enfants, aucun lien ne pouvant être fait dans ce contexte avec ces deux aspects. Le projet actuel a pour ambition de les articuler.

  

[1]Ellen Pence, Michael Paymar, Education Groups for Men Who Batter: The Duluth Model, Springer Publishing Company, 1993,

[2]Dherman, L and Eck, J  « Policing for crime prevention » in Sherman, L, Farrington D, Welsh, B, Mackenzie, D “Evidence based Crime Prevention” Routledge, London (2002)

[3]K. Daniel O'Leary, Richard E. Heyman, and Peter H. Neidig (1999)  « Treatment of Wife Abuse: A Comparison of Gender-Specific and Conjoint Approaches » Behavior Therapy, V. 30, 475-505, 1999 

[4]Roland Coutenceau (2006) « Auteurs de violences au sein du couple Prise en charge et prévention » in http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr

[5]Adams, D. (1988). Treatment models of men who batter: A pro-feminist analysis. In K. Yllo & M. Bograd (Eds.), Feminist perspectives on wife abuse (pp. 176-199). Newbury Park, CA: Sage.

[6]Bograd, M. (1992). Values in conflict: Challenges to family therapists’ thinking. Journal of Marital and Family Therapy, 18, 245-256.

[7]McCollum, E.E., & Stith, S.M. (2008). Couples treatment for interpersonal violence: A review of outcome research literature and current clinical practices. Violence and Victims, 23, 2, 187-201.