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Approche groupale avec les auteurs de violences familiales

Je m’appelle Caroline ALLOUCHERY, je suis psychologue et je travaille auprès des auteurs de violences conjugales et familiales depuis 16 ans pour mettre en sécurité les victimes et la famille plus largement. Il pourrait pourtant s’agir d’un paradoxe, de venir prendre en charge les auteurs de violences conjugales et familiales pour lutter contre la violence faites aux femmes. 

Le récit des scènes de violence et du quotidien de ces femmes victimes est effroyable, elles décrivent dans la plupart des cas, un homme contrôlant, dominant et menaçant, un homme qui fait peur et ce, malgré même que la relation conjugale est qualifiée de relation amoureuse. On entend encore aujourd’hui, que parfois elles ne sont pas crues, pas entendues, ou qu’elles ont peur de dire tellement l’emprise sur elles est forte et tellement la relation d’amour toxique emprisonne. 

Comment ne pas être en colère contre ces hommes ? Comment ne pas vouloir d’eux qu’ils subissent autant qu’ils ont pu faire violence à celle qu’ils disent aimer ? Comment accompagner ces hommes qui font souffrir en niant, banalisant ou minimisant cette souffrance sans jugement ?

Il ne va pas de soi effectivement d’offrir un espace de parole à ces hommes. Nous sommes alors dans un autre contexte, un autre temps, une autre scène que celle du quotidien. 

Ces hommes, quand on les interroge, donne à lire un parcours de vie qui pourrait être celui d’un père, d’un frère ou d’un ami. Ils tentent d’expliquer leurs comportements et c’est en tentant avec eux d’en comprendre le sens qu’on s’engage vers une démarche de changement.

Le fil conducteur de notre action est la responsabilisation.

L’exercice qu’on demande aux personnes que nous recevons au Cheval Bleu est de se questionner sur leur volonté, leur responsabilité : « qu’est-ce que vous venez faire, Monsieur, en face de moi ? ». Alors, on en passe évidemment par des « c’est pas moi, c’est la Justice qui m’a dit de venir », par « vous croyez que j’ai le choix ? moi on m’a demandé de faire tout ce qu’il y avait d’écrit par le procureur/juge/cip ». Les personnes qu’on reçoit nous font croire, dans un premier temps, qu’elles ne sont responsables de rien ! Et peuvent se persuader elles-mêmes ou être convaincues qu’elles ne sont responsables de rien. Le fait de leur poser la question « Monsieur, que venez-vous faire ici au Cheval Bleu ? », vient poser un regard sur une volonté, un désir ou une responsabilité que la personne en face de nous s’efforce d’effacer. 

Ils viennent nous raconter à quel point leur femme est mauvaise, à quel point elle a pu les humilier, les fragiliser, les rejeter ou les rabaisser. D’un point de vue systémique, un couple à interactions violentes évolue dans une dépendance affective mutuelle qui se nourrit de contrôle et d’emprise. Ces mouvements relationnels inconscients et réciproques s’entretiennent à deux. En cela, les auteurs ne seraient responsables que de la moitié du dysfonctionnement du couple, mais ils seraient responsables en totalité de leur comportement violent.

Lors des premiers entretiens individuels, ils sont écoutés et quand ils sont prêts à être regardés, ils parlent, ils deviennent, ils sont en colère ou plein de honte, mais ils parlent et se rendent compte qu’ils existent, juste en parlant… c’est nouveau et c’est bien souvent expérimental pour eux. Parce qu’à la maison, on ne parle pas, on existe à l’autre qu’en s’impactant mutuellement ou pas, on se parle différemment, et comme on a l’impression de ne pas être écouté ou entendu, alors on essaie de le dire plus fort, et plus fort, c’est souvent violemment.

Le travail que l’on mène avec eux est un travail de deuil, de déconstructions et de reconstructions des représentations. Quand je parle ici de deuil, c’est avant tout celui de la place que le patient a considéré prendre auprès de l’autre de son couple et au sein de sa famille. C’est un accompagnement thérapeutique sur la perte de la place de celui qu’on croit être. Le patient vient prendre de plein fouet l’expérience du deuil de l’illusion de la maîtrise. Venir en groupe, c’est venir faire l’expérience déstabilisante d’une remise en question de soi et du système dans lequel on évolue. C’est également venir mettre à nu un fonctionnement qui tournait parfois depuis des années, derrière les portes de la maison ; c’est venir ouvrir les volets sur ce qui est secret et dont on n’aurait pas pris le risque de parler. Venir en groupe c’est éprouvant et angoissant. Mais, ne vaut-il pas mieux exister et choisir que d’avoir le sentiment de subir ?

Nous défendons une notion de responsabilité au sein de nos groupes, qui en portent d’ailleurs le nom. Pour revenir à cette question première « Que venez-vous faire, Monsieur, au Cheval Bleu ? », il s’agit d’inscrire d’emblée le patient face à ses choix de vie et sa responsabilité dans les voies qu’il a pu prendre ou pas. Ce serait venir le considérer comme une personne dotée d’un libre-arbitre, capable de décisions, de réflexions et donc de changements.

Le travail que nous menons au sein de nos groupes vient forcer ce mouvement à la responsabilisation. Par choix, nous n’avons pas de thèmes initialement choisis pour une séance donnée. C’est le patient qui arrive avec ce qu’il veut ou doit travailler sur les violences conjugales et familiales qu’il a commises. 

Même si nous n’avons pas de thèmes préalablement établis, nous avons pour autant des cibles d’intervention communes.

La restauration de l’empathie est une de ces cibles. Elle en passe par différents leviers semés au cours du processus de responsabilisation. La position adoptée par le thérapeute, dans une écoute non jugeante et dans une recherche de compréhension des actes donne à voir la possibilité de dire et d’être entendu. Cette expérience que vit l’auteur vient diminuer ses défenses (diminution de la colère) et lui donne accès à sa propre souffrance, venant lever des sentiments dépressifs nécessaires à la prise de conscience de la violence.

Sans légitimer la violence qu’il a pu exercer sur les autres de son entourage, cette position vient appuyer le fait qu’il est lui-même aussi victime de sa violence. Nous venons travailler à quel point il est difficile d’être un auteur de violences conjugales et familiales, d’avoir été celui qui a fait le mal dans la famille et d’être celui qui faisait peur à tous. Le travail de responsabilisation accompagne le participant à devenir « sujet », s’appropriant le symptôme de la violence qui a émergé chez lui.

L’accès à sa propre souffrance et sa verbalisation va permettre de faire le focus sur la souffrance de la femme victime et des enfants. Nous réintroduisons de « l’autre », par le cadre même du groupe où il est question de s’écouter et de faire en sorte que chacun ait sa place, par les jeux de rôles que nous proposons parfois en fonction de la situation amenée par un des participants où nous demandons de « se mettre à la place de », par le centrage du questionnement sur ce que l’autre a bien pu ressentir. 

La reconnaissance du vécu des victimes directes et indirectes semble faire levier dans le travail de réflexion et semble favoriser la prise de conscience de l’impact de leurs actes violents.

Une fois que le patient a reconnu une violence chez lui et/ou la souffrance occasionnée par ses actes, il émerge en tant que sujet. Une remise en question de ses propres représentations est alors envisageable.

Nous travaillons autour des représentations de la violence inscrites dans l’histoire personnelle de chaque personne. Il peut s’agir là de violence vécue en tant qu’enfant et de violence agie à l’âge adulte. Le fait de venir se « raconter » autour de la violence, vient aider à mettre du sens sur la manière dont l’auteur agit aujourd’hui. Le fait de mieux comprendre son fonctionnement permet de mieux le critiquer et permet de pouvoir apercevoir les ressources dont il bénéficie pour amorcer un changement.

Sans angélisme et sans légitimer la violence, on peut s’apercevoir que la reconnaissance d’une souffrance chez l’auteur est ce qui vient faire levier d’un travail de responsabilisation et d’une amorce au changement dans la prévention de la lutte contre la récidive.

Profil des auteurs de violences conjugales, peur et honte

« Tu n’es pas gagnant à être confrontant » Clément GUEVREMONT, Option Montréal

La violence conjugale et familiale n’est pas une psychopathologie à proprement parler, sur cent personnes reçues, nous aurons cent personnalités différentes.

Pour autant, même si chaque personne présente un fonctionnement différent, on peut retrouver des traits similaires qui conduisent au passage à l’acte violent au sein de la famille. 

La plupart des hommes violents présente un sentiment d’insécurité quant à leur place au sein de la famille, auprès de leur femme, en tant que père, que mari ou de fils. Ils présentent souvent une incapacité à nouer un lien dans lequel chacun peut se réaliser.

Dès qu’il y a un lien fort, ce qui surgit, c’est la peur de l’abandon, et pour s’en prémunir, ils adoptent une stratégie de contrôle jusqu’au moment où la violence vient s’insinuer et devenir moteur de la relation. La violence va venir servir d’outil pour maintenir l’illusion d’un pouvoir sur quelqu’un, elle va venir masquer la détresse qu’est la peur d’être seul, abandonné et dérisoire. 

Parce que la majorité des hommes reçus sont malheureux. Avant de franchir la porte du Cheval Bleu, ils n’ont pas conscience de cette souffrance qui se cache derrière une colère qui confronte. 

C’est bien souvent sans grande conviction qu’ils mènent à bien leurs obligations de soin. Ils préfèrent de loin banaliser leurs comportements violents plutôt que d’affronter leur honte. Parce qu’il s’agit de ça, la honte. C’est une honte qu’ils cachent par fierté dirons-nous, par manque d’assises narcissiques. Banaliser en disant « c’était juste une petite claque » ou « de toute façon, elle marque vite, les bleus, on les voit vite chez elle, elle a la peau fine », banaliser c’est éviter d’imaginer la souffrance de leur victime et de ressentir la leur. C’est aussi un moyen d’éviter de s’effondrer, de se rendre compte à quel point leurs comportements ont provoqué un cataclysme au sein de leur famille, auprès de leur femme et de leurs enfants.

Banaliser serait venir se cacher dans un trou de souris pour pas qu’on les regarde, pour pas qu’on interroge, pour pas qu’on les juge, pour ne pas avoir à affronter une image d’eux-mêmes d’homme violent et mauvais. Banaliser reviendrait à ne pas souffrir et à fermer les yeux sur leurs dysfonctionnements. 

Parce qu’effectivement, depuis ces quelques années que je travaille auprès d’eux, ce sont des hommes, pour la plupart du temps, des hommes en détresse que je reçois dans mon bureau. Mais dans une détresse qu’ils se cachent et qu’ils ne connaissent pas encore.

Cette manière d’appréhender les choses n’est pas commune, on aurait davantage tendance à considérer qu’une bonne punition pour leur faire comprendre qu’il ne faut pas être violent serait beaucoup plus efficiente. Et pourtant… nous ne sommes pas « gagnants à être confrontant ». C’est ce que nous répétait notre superviseur canadien, Clément GUEVREMONT de l’association Option à Montréal. 

Être confrontant reviendrait à jouer dans la même cour qu’eux, dans un donnant donnant stérile et déshumanisant, qu’ils connaissent par cœur et où ils sont les rois. Considérer que derrière chaque colère, il y a une peur, permet de venir travailler non plus la colère contre… quelque chose d’extérieur, mais de travailler ce qui leur appartient, cette insécurité ressentie. C’est le début du travail de responsabilisation. C’est découvrir que l’autre contre lequel ils s’entrechoquent, ils sont violents, se trouve non pas à l’extérieur d’eux (leur femme), mais à l’intérieur d’eux-mêmes.

Le travail c’est de venir les aider à conscientiser tout ce qu’ils préfèrent cacher, de leur offrir un cadre où la honte, la peur, les blessures peuvent être exprimées. Parce qu’il s’agit de cela être auteur de violences conjugales et familiales. Et quand ils se permettront de venir toucher du doigt qu’ils sont en souffrance, ils pourront exprimer leurs failles : leur peur d’être mis de côté, comme ils l’ont peut-être vécu dans leur enfance, leur peur de devenir père à l’arrivée du premier enfant parce qu’eux-mêmes ont vécu avec un père violent, leur peur d’être remplacé et abandonné par leur femme parce que leur mère est partie quand ils avaient 10 ans… 

C’est de ces peurs là que la colère émerge et que la violence apparaît.

Ces peurs sont souvent réactivées par le contexte, la conjointe. La vie est perçue sous le prisme de ces peurs. La réflexion de la conjointe vient faire impact profondément et vient activer la détresse souvent verbalisée par la colère ou par le passage à l’acte violent. L’impact vient déclencher une éruption en eux qui se traduit par le passage à l’acte violent.

Un homme viendra nous expliquer qu’il a été violent avec sa conjointe après qu’elle lui ait fait des tomates pour le dîner. « Elle sait que je n’aime pas les tomates ! ». Cet homme a eu le sentiment que ses préférences, son envie, ses désirs n’ont pas été pris en compte, il a eu le sentiment de ne pas exister pour sa femme, de ne pas être important, d’être mis de côté et de ne pas être entendu. C’est sans doute ce qu’il a vécu plus en amont dans sa vie, il était l’enfant pour qui on avait dressé un lit de camp entre les chambres des uns et des autres, celui qu’on n’attendait pas pour le dîner, celui dont on se fichait. Le fait que sa femme lui ait fait des tomates pour le diner vient réactiver ces blessures et ces humiliations.

Ce travail de conscientisation et de réflexions, d’accès à leur souffrance permet dans un même temps de prendre conscience de la souffrance de l’autre. C’est un travail qui est permis par la thérapie de groupe que l’on propose après quelques entretiens en individuel, le temps qu’émerge cette souffrance et donc cette demande d’aide et de changement.

Le travail auprès de ces auteurs de violences conjugales a pour objectif de prévenir la récidive. C’est un travail que je considère comme une prise en charge de la victime par procuration. Prendre en charge l’auteur, c’est prendre en charge la victime. Parce qu’en considérant leur souffrance, ils pourront considérer celle de l’autre (leur femme), et prendre conscience au travers des autres du groupe que l’autre est traversé également par des émotions, des ressentis et des désirs différents des leurs. Le groupe viendrait faire l’expérience de la différenciation de soi et des autres. 

Article pour communication à l'ENM Paris 21 mars 2024

Les groupes thérapeutiques pour auteurs de violences familiales

Fonctionnement de l’institution

Nous proposons un accompagnement spécifique des auteurs de violences conjugales et familiales par le biais d’un travail de groupe de responsabilisation. Les personnes susceptibles de participer sont majoritairement orientées par la justice, soit dans le cadre d’alternatives aux poursuites ou de contrôle judiciaire (en pré-sentenciel), soit dans le cadre de sursis avec mise à l’épreuve (en post-sentenciel). Nos partenaires médico-sociaux peuvent également nous orienter des personnes, tout comme tout individu peut effectuer une demande spontanée. Nous parlerons majoritairement des hommes tout au long de notre propos, puisqu’à l’heure actuelle, c’est la grande majorité des personnes que nous rencontrons dans ce cadre. Nous recevons également des femmes auteurs de violences conjugales et familiales, or, elles ne sont pas assez nombreuses pour la constitution d’un groupe. Nous avons fait l’expérience de groupes mixtes (hommes/femmes), mais cela ne s’est pas avéré concluant. 

Les auteurs prennent contact avec l’association Le Cheval Bleu pour au moins deux entretiens individuels de pré-admission au groupe. Lorsqu’il s’agit de personnes ayant déjà été jugées et condamnés à un sursis avec mise à l’épreuve, les conseillers d’insertion et de probation, en lien avec les juges de l’application des peines, peuvent orienter les personnes qu’ils suivent vers les groupes thérapeutiques pour auteurs de violence intrafamiliales du Cheval Bleu. Pour les personnes en contrôle judiciaire ou en alternative aux poursuites judiciaires, c’est l’association de contrôle judiciaire, en lien avec le JLD ou le Procureur, qui orientent. Pour les personnes incarcérées, c’est le CPIP qui oriente, le Cheval Bleu est mentionné aux arrivants et le bouche à oreille fonctionne également au sein de la prison. Il s’agit alors pour eux de faire respecter l’obligation ou l’injonction de soins qui a été prononcée envers les auteurs de violences intrafamiliales, en milieu ouvert.

L’articulation du thérapeutique avec la justice est un projet commun ; il s’agit, au sein du groupe de responsabilisation, de passer d’une injonction de soin à une amorce de demande chez le sujet, qui devient alors patient. Effectivement, il nous faut faire face à une situation particulière. En effet, les personnes que nous recevons sont majoritairement orientées par la justice, que ce soit avant ou après un jugement. Les personnes ne sont pas dans une démarche de demande directe de soins. Il nous faut alors considérer que c’est le passage à l’acte transgressif qui constitue l’expression d’une souffrance et donc d’une éventuelle demande d’aide. 

Selon Broué et Gévremont, « la demande d’aide est paradoxale, puisqu’il s’agit d’une aide contrainte.  En effet, c’est un tiers qui enjoint l’individu à participer à une psychothérapie de groupe pour conjoints violents et lui rappelle que son cheminement sera pris en considération. Il est ainsi demandé à l’individu de changer ses comportements, attitudes et croyances à l’égard de la violence conjugale et familiale. Par conséquent, les “référents” font une demande au conjoint violent qui pourrait curieusement se formuler : nous voulons que vous vouliez changer. Les “référents” font aussi une demande du même type aux psychothérapeutes : nous voulons que le conjoint violent change et que vous vouliez l’aider à résoudre le problème que nous affirmons qu’il a » [2].

L’enjeu de la demande consiste donc, préalablement, à favoriser une réappropriation de la demande d’aide et de changement par l’auteur de violences.

Nous disposons d’un dossier informatique partagé, réalisant un réseau d’échange d’informations avec nos partenaires sur la situation et l’évolution d’un participant au groupe, en accord avec celui-ci : le contenu de ce qui peut être évoqué reste évidemment de l’ordre du secret professionnel. Nous transmettons à nos partenaires, notamment aux professionnels de la justice des informations de fonctionnement et non de contenu, c’est-à-dire que nous leur disons si les personnes sont venues aux entretiens préliminaires, s’ils se sont engagés dans un groupe ou non et à la fin de la session, nous envoyons un bilan comprenant uniquement la motivation, le respect des règles constituant le cadre du groupe et l’implication dans le processus. En aucun cas, nous ne donnons des informations relatives à ce que les personnes ont pu évoquer lors des entretiens ni lors des séances de groupe. Nous nous engageons évidemment à signaler toute révélation du fait qu’une personne puisse être mise en danger si nous en sommes informés lors d’une séance.

Les entretiens de préadmission

Chaque personne est vue à au moins deux entretiens de pré-admission au groupe. Il s’agit pour nous de faire connaissance avec leur histoire familiale et leur vécu de violence. Lors de ces entretiens, nous nous focalisons sur le récit de la scène de violence et sur la souffrance qu’elle a pu engendrer chez eux ainsi que chez les victimes. Nous essayons aussi de faire l’état des lieux de leur cellule familiale et du moment où ils se sont trouvés en contact avec la violence pour la première fois. Nous mentionnons sur la confidentialité de ce qui se dit lors des entretiens malgré l'arrière-plan judiciaire qui motive la rencontre.

Ces entretiens ont aussi une visée évaluative. Nous prenons le temps de vérifier que nous avons à faire à des personnes qui pourront faire face à la situation de groupe. Nous essayons de repérer si les personnes que nous rencontrons ne présentent pas de pathologies mentales qui pourraient empêcher le travail de groupe comme des traits paranoïaques trop prononcés, des traits pervers ou encore une trop grande déficience intellectuelle qui ne permettrait pas la compréhension de ce qui pourrait être abordé au sein du groupe.

Nous évaluons aussi la motivation des personnes à entrer dans le dispositif de soin que nous leur proposons lors du deuxième ou du troisième entretien. Il s’agit ici de repérer ce que les personnes souhaitent changer dans leur mode relationnel.

Ce travail de responsabilisation est aussi et surtout possible parce que nous travaillons avec le système judiciaire. Le cadre de notre action vient s’adosser au cadre judiciaire. C’est parce que les hommes violents sont obligés ou fortement conseillés de se rendre au Cheval Bleu sous peine d’autres contraintes ou d’emprisonnement, que le travail de responsabilisation est possible.

Généralement, le problème pour les auteurs de violences conjugales et familiales est qu’il ne leur appartient pas, il est perçu à l’extérieur d’eux-mêmes. Même si la plainte, la garde à vue, l’éloignement du domicile et les comptes à rendre à la Justice viennent pointer la source du problème. Certains le comprennent rapidement et se repositionnent sans en devoir forcer le mécanisme. D’autres revendiquent leur bon droit, malgré ces différents protocoles d’arrestation. Pour ceux-là, le cadre de notre proposition de soin n’est pas suffisant. La « carotte » (davantage de RPS, ou non révocation du sursis) que leur propose la Justice vient, dans un premier temps, faire office de « motivation ».

Nous ne prenons en charge que les personnes émettant un souhait de changement de fonctionnement, aussi minime soit-il. C’est la condition pour pouvoir intégrer le groupe de responsabilisation. La personne qui évoque son refus de réflexion au sein d’un groupe dans notre bureau, devra l’argumenter dans le bureau de son contrôleur judiciaire qui en réfère au JLD, au Procureur ou au JAP.

Le patient est pris dans une double contrainte : la première est celle de la Justice « tu dois aller réfléchir avec le Cheval Bleu pour tes actes de violences conjugales et familiales ou tu en paieras le prix », la deuxième est celle du Cheval Bleu « tu ne peux pas accéder au groupe uniquement par obligation, il te faut un objectif de changement, aussi minimal soit-il ». Cette place inconfortable pour le patient va venir forcer la prise de position et va venir amorcer la remise en question. 

Le cadre de la justice viendrait baliser le cadre des groupes où l’intervention judiciaire serait un tremplin pour l’intervention thérapeutique, où la demande s’en verrait portée par un tiers.

Pendant ces entretiens individuels de préadmission, nous mettons également l’accent sur la situation de groupe à laquelle ils vont être confrontés pour diminuer la peur de l’inconnu qu’ils peuvent ressentir. Nous nous appuyons sur un contrat dans lequel le cadre de travail est clairement précisé, notamment en ce qui concerne la confidentialité, les échanges avec la Justice, le non-jugement des propos tenus et le respect des autres. Ce contrat les engage à respecter les règles du groupe et à participer à 21 séances minimum de groupe.

Il y a trois issues possibles à l’issue de ces entretiens. La première est celle où Le Cheval Bleu et l’auteur de violences conjugales et familiales sont d’accord pour travailler ensemble au sein d’un groupe. La seconde, est celle où le Cheval Bleu refuse l’admission de la personne au sein groupe pour les raisons suivantes : l’auteur peut présenter une pathologie mentale trop envahissante au travail de groupe ou une pathologie mentale non stabilisée, l’auteur peut présenter une déficience intellectuelle trop importante à la compréhension de ce qui se dit dans le groupe ou l’auteur a l’impossibilité technique de participer au groupe (horaires de travail aux horaires de groupe). La troisième est celle où l’auteur refuse de participer au groupe de responsabilisation, les raisons étant variables.

Les groupes

Les groupes sont dits ouverts, c’est-à-dire qu’il y a des entrées et des sorties régulières de participants. Lors de l’arrivée d’un nouveau participant, les autres membres du groupe n’en sont pas tous au même nombre de séances. Cela permet que les plus « anciens » puissent accueillir au mieux les « nouveaux » en leur expliquant comment s’est passé leur première séance, dans quel état de stress ou de peur ils pouvaient être juste avant. Ils peuvent aussi dire après combien de temps ils ont pu se sentir à l’aise et en confiance dans le groupe. Ils expliquent enfin ce que leur venue au groupe chaque semaine a pu leur apporter jusque-là.

Il est important pour nous de mixer les groupes. Nous recevons au sein d’un même groupe des personnes en demande spontanée, des personnes en alternative aux poursuites judiciaires, en contrôle judiciaire, des personnes condamnées ou des sortants de prison. On pourrait imaginer que le groupe est constitué de personnes plus ou moins violentes avec des plus petites violences ou de plus grosses violences.

Cependant, nous considérons la violence comme un processus. Les violences vont généralement crescendo au niveau de leur intensité dans le temps. Nous avons donc dans les groupes des personnes qui ont « simplement » donné une gifle à leur conjointe qui se trouvent confrontées à des personnes sortant de prison pour des violences beaucoup plus fortes et récurrentes. Ce qui devient intéressant est que la personne « la plus violente » dira à la personne la « moins violente », « Pour moi aussi, ça a commencé comme ça, par une gifle ».

C’est de ce point de vue qu’il est important selon nous, de donner accès aux groupes de responsabilisation dès les prémisses de ce processus afin de mettre toutes les chances du côté de l’auteur et de sa victime pour mettre un point d’arrêt aux interactions violentes.

Statistiquement, nous nous sommes rendus compte que l’auteur et sa victime se remettent en couple dans 60% des cas après la violence, l’interdiction de rentrer en contact étant prononcée ou pas. Ce constat va de pair avec la mise en place du processus violent au sein du couple et un éventuel risque de récidive. 

Le fait que les groupes soient ouverts, c’est-à-dire qu’il y ait des entrées et des sorties régulières permet que les anciens puissent insuffler une dynamique de verbalisation et que les nouveaux participants se sentent plus rapidement acteur de leur demande d’aide. Cela favorise aussi le travail d’élaboration chez les nouveaux arrivants ; les anciens agissant en quelque sorte comme locomotive au sein du groupe.

Inspiré par l’expérience d’Option, une association canadienne qui assure la prise en charge en groupe des auteurs de violences intrafamiliales depuis plus de 40 ans, chaque session se déroule invariablement sur 21 séances hebdomadaires par participant. La prise en charge dure environ six à huit mois pour chaque participant. Nous nous sommes aperçus qu’il s’agit là du temps nécessaire pour que la demande puisse être formalisée et que les personnes se l’approprient. Il s’agit pour nous que les personnes deviennent sujets de leur démarche et qu’ils puissent poursuivre leur réflexion après leur passage dans le groupe. Nous avons remarqué aussi que ce temps est nécessaire pour que le processus de responsabilisation se mette en place. Nous entendons par là que les individus puissent se sentir responsables de ce qu’ils peuvent ressentir et agir dans leur quotidien.

Le groupe de responsabilisation est désigné, par la majorité des bénéficiaires, comme le premier lieu dans lequel la souffrance peut être entendue. La violence est désignée comme symptomatique et devient ainsi le point de départ de la reconnaissance d’un trouble. Trouvant un lieu d’écoute dans ce cadre institutionnel particulier, les auteurs de violences intrafamiliales semblent davantage prêts à rompre leur isolement et à porter une demande de soutien.

En effet, la plupart des participants décrivent leur sphère familiale comme particulièrement isolée, sans aucune intervention d’une tierce personne susceptible de médiatiser les conflits. L’intervention des forces de l’ordre puis de l’appareil judiciaire venant alors rompre cet isolement peut être le point de départ d’un travail de réflexion et d’élaboration.

Le cadre particulier que suppose la dynamique de groupe, notamment le respect de la parole des autres peut être une difficulté à l’entrée en groupe. Cette même difficulté, selon leurs dires, serait vécue dans le milieu familial : ne pas se sentir écouté et ne pas écouter les autres. L’expérience du groupe semble faire traitement chez la plupart des participants qui se réapproprient son cadre.

La majorité des participants affirment poursuivre le processus de verbalisation engagé dans le groupe auprès des membres de leur famille (notamment au parloir pour ceux qui sont incarcérés). L’amélioration des échanges verbaux au sein de la sphère familiale est désignée comme un élément majeur dans la diminution des conflits. En passer par le verbe éviterait d’en passer par l’acte.

En d’autres termes, le travail de groupe et le cadre qu’il suppose permettent dans une certaine mesure de restaurer l’empathie chez ces personnes. Cela permet donc d’introduire l’autre dans leur imaginaire et de pouvoir prendre en considération, par ailleurs, son existence en tant que sujet à part entière et de l’effet du comportement de l’auteur sur la victime. Nous les invitons d’ailleurs lors des séances de groupe à essayer de se mettre à la place des autres participants ainsi que des victimes directes et indirectes des actes de violence qu’ils ont commis.

Le cadre du groupe permet aussi une diminution du sentiment d’isolement dans le fait d’avoir été un jour auteur de violences intrafamiliales. Il apparaît aussi que le sentiment d’être jugé est amoindri du fait que tous les participants se reconnaissent en tant qu’auteurs de violences intrafamiliales et facilite donc le travail de dévoilement et de responsabilité de ses actes violents. Ce qui permet une libération de la parole et un travail thérapeutique plus efficient.

De plus, ce cadre particulier permet que les personnes parlent moins que s’ils étaient en consultation individuelle. Cela implique moins de pression relationnelle et la possibilité de parler et d’élaborer par procuration. Il devient aussi possible d’envisager des réflexions amenées par les autres auxquelles certaines personnes n’auraient pas pensé seules.

Approche thérapeutique de la violence dans le couple

Divers modèles d’intervention sont utilisés en Europe, ils s’inspirent généralement du modèle Duluth[1]développé aux USA. Le programme Duluth est un programme pionnier internationalement reconnu dans la protection des victimes et la réhabilitation des auteurs.

Les modèles d’intervention

L’accent fut mis sur le rôle de la société et des auteurs, c’est à l’auteur qu’incombe la responsabilité de l’arrêt de la violence. La commission a aussi recommandé d’améliorer la protection des victimes femmes et enfants. L’implication et la coordination des divers intervenants (La loi, la police, la justice, la protection des victimes et les traitements des auteurs) étaient considérées comme indispensable et devaient être améliorées. C’est la « CCR » (voir ci contre). Le développement des compétences et des connaissances des praticiens intervenant auprès des enfants des femmes et des auteurs, fut un des objectifs à atteindre. De ces recommandations est né le programme Duluth.

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Restauration pénale

Toute personne concernée par l’impact de la violence, de manière personnelle ou professionnelle, peut proposer ou demander la mise en place d’une justice restaurative auprès du magistrat en charge du dossier.

Le but d’une telle médiation est 

  • De rendre possible une telle rencontre 
  • D’encourager l’infracteur à mesurer l’impact humain, social et/ou matériel de son action et d’en assumer la responsabilité
  • De permettre à la victime d’exprimer ses émotions, ses attentes et ses besoins
  • De conduire chacun à reconsidérer le point de vue de l’autre et à en tenir davantage compte.

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La justice restaurative

Le rapport du groupe de travail du Conseil national de l’aide aux victimes de 2007 préconise la rencontre restaurative à intégrer aux procédures pénales existantes dans la mesure où il s’agit d’un processus volontaire, accompagné par des professionnels du secteur, dans le respect des droits humains, le respect de la sécurité juridique de chacun et la protection individuelle des parties. 

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Violences familiales

 Depuis 2007, l’association le Cheval Bleu s’inscrit dans une action de lutte contre les violences conjugales et familiales en proposant une prise en charge spécifique des auteurs de violences conjugales et familiales, sous forme de groupe de responsabilisation.

Il est effectivement primordial de travailler avec les auteurs afin de leur permettre une prise de conscience quant aux faits et ainsi les aider à assumer leurs responsabilités mais également à prendre en compte la réalité de la souffrance psychologique des victimes primaires et secondaires.

Cette action vient en complémentarité avec les actions proposées par d’autres organismes en direction des auteurs mais également des victimes de violences intrafamiliales.

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Violences sexuelles

L’action constitue un mode particulier de suivi des auteurs de violences sexuelles. Elle s’appuie sur le vécu du groupe, qui favorise l’expression, libère la parole et facilite la prise de conscience. Cette pratique de groupe est complémentaire aux autres approches de soin dont elle potentialise l’efficacité en facilitant la maturation d’une réelle demande. Cette action s’inscrit dans un champ partenarial qui inclut les magistrats de l’application des peines, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les structures de soin, les médecins coordinateurs et le CRISAVS.

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